Bravo à Luc Turgeon, Antoine Bilodeau, Stephen White et Ailsa Henderson qui remportent le Prix McMenemy qui récompense le meilleur article paru dans la Revue Canadienne de Science Politique (Canadian Journal of Political Science). L’article primé s’intitule : “A Tale of Two Liberalisms? Attitudes toward Minority Religious Symbols in Quebec and Canada”. C’est la deuxième fois qu’Antoine Bilodeau, membre de l’ÉRIQA et Professeur à l’Université Concordia, remporte ce prix. Pour en savoir plus sur cet article qui parle des attitudes des Québécois et des Canadiens face aux restrictions du porte de symboles religieux, nous retranscrivons ci-dessous un entretien avec les auteur.e.s qui présentent leur article.
A ne pas manquer non plus : Luc Turgeon, Professeur agrégé à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, aura également l’occasion d’aborder cette thématique dans un prochain épisode du podcast “Migration en Questions“.
Entretien disponible en ligne : [RETRANSCRIPTION] Entrevue avec les lauréat.e.s du prix John McMenemy 2020 Luc Turgeon, Antoine Bilodeau, Stephen E. White and Ailsa Henderson; “A Tale of Two Liberalisms? Attitudes toward Minority Religious Symbols in Quebec and Canada”.
Pouvez-vous nous faire un bref résumé de votre article sélectionné “A Tale of Two Liberalisms? Attitudes toward Minority Religious Symbols in Quebec and Canada”.
Notre article explore les raisons pour lesquelles les Québécois sont plus enclins que les autres Canadiens à soutenir les restrictions sur le port de signes religieux. Il examine d’abord si les explications couramment associées au soutien de telles restrictions peuvent expliquer cet écart : des préjugés plus forts, un sentiment d’insécurité culturelle plus grand et des niveaux de religiosité plus faibles. Notre étude indique que si ces facteurs influencent effectivement l’opinion publique tant au Québec que dans le reste du Canada, ils n’expliquent pas les différences entre le Québec et le reste du Canada. Nos analyses suggèrent que c’est l’impact distinctif des valeurs libérales qui explique pourquoi les Québécois sont plus nombreux que les autres Canadiens à soutenir les restrictions préconisées au sujet du port de signes religieux. Au Québec, la conformité aux valeurs libérales est associée à une prise de position plus restrictive, alors que dans le reste du Canada, les valeurs libérales se traduisent par un soutien plus faible. Ces résultats sont conformes à l’argument selon lequel deux interprétations différentes du libéralisme dominent dans les deux sociétés, à savoir le libéralisme des Lumières au Québec et le libéralisme de la Réforme dans le reste du Canada. La principale différence entre ces deux formes de libéralisme se résume en fin de compte à la mesure dans laquelle l’État est tenu de promouvoir ou appliquer les valeurs libérales.
Qu’est-ce qui vous a amenés à vous intéresser à la recherche sur le libéralisme et les signes religieux au Québec et au Canada?
D’une certaine manière, nous parlons tous les quatre des différences entre le Québec et le reste du Canada depuis notre rencontre à l’Université de Toronto il y a une vingtaine d’années. Le présent article s’inscrit dans le prolongement de ces discussions au fil des ans. Plus concrètement, en prêtant attention aux débats actuels, notre perception était que les partisans des restrictions sur le port de signes religieux au Québec enrobaient souvent leur discours dans le langage du libéralisme, par référence à la « neutralité de l’État », à « l’égalité des sexes » et à la « liberté de conscience ». Nous étions curieux de voir si ce discours élitaire avait une quelconque influence sur l’opinion publique, et s’il pouvait expliquer pourquoi les Québécois étaient plus enclins que les autres Canadiens à soutenir de telles restrictions. Le travail de Jocelyn Maclure et de Phil Triadafilopoulos a également beaucoup influencé la façon dont nous avons pensé et conçu cet article. Au début des années 2010, Jocelyn Maclure avait soutenu que les débats intellectuels sur les accommodements religieux au Québec révélaient la présence d’« étranges compagnons de lit », et qu’un de ces groupes d’intellectuels s’opposait explicitement aux accommodements religieux en se fondant sur des principes libéraux. À peu près à la même époque, Phil Triadafilopoulos publiait un article sur la façon dont les partisans de politiques d’intégration civique controversées en Europe justifiaient leur position sur des bases libérales et dont les débats sur ces politiques démontraient l’existence d’une tension entre les différents courants du libéralisme. Ces arguments et observations ont réellement déclenché une étincelle parmi les membres de l’équipe, et nous voulions vraiment voir comment ce genre de raisonnement pouvait se traduire empiriquement au niveau de l’opinion publique.
Auriez-vous des conseils à donner aux étudiants des cycles supérieurs ou à d’autres universitaires désireux de poursuivre des recherches sur la religion et le libéralisme dans la politique canadienne?
Un des grands plaisirs que nous avons eu à mener à bien ce projet a été de mettre en commun les différents domaines d’expertise et les compétences méthodologiques que chacun d’entre nous avait à offrir. Nous pensons que la contribution de cet article à la discipline est en grande partie le résultat de la synergie qui a émergé de cette fructueuse combinaison d’expertise. Notre conseil ne se limiterait donc pas spécifiquement aux étudiants de troisième cycle intéressés à poursuivre des recherches sur la religion et le libéralisme dans la politique canadienne ; ils devraient oser entrer en contact avec des collègues d’origines et de compétences différentes pour aborder des réalités politiques complexes. Notre projet a mis en regard la « religion » la « théorie politique » et les « données chiffrées » afin de mieux comprendre les débats politiques actuels au Canada ; nous pensons que c’est ce qui a rendu ce projet plaisant !
Parlez-nous brièvement du projet auquel vous travaillez en ce moment ou que vous comptez aborder.
Nous terminons tous les quatre divers articles liés à notre « Projet de diversité provinciale » qui cherche à mieux comprendre la dynamique des attitudes à l’égard de la diversité ethnoculturelle et de l’intégration des minorités ethniques dans les provinces canadiennes. Antoine et Luc poursuivent également un nouveau projet avec Laurence Lessard-Philipps (Birmingham) qui explore comment les Québécois conçoivent l’identité québécoise, la diversité de ces conceptions selon les localités de la province et leur lien avec les attitudes concernant la diversité ethnoculturelle, l’immigration et la solidarité sociale. Le nouveau projet de Steve explore les croyances sur l’immigration, le multiculturalisme et l’identité canadienne chez les Canadiens hors Québec. Ailsa continue de diriger l’Étude sur l’élection écossaise et codirige l’enquête sur l’avenir de l’Angleterre, qui a commencé comme une enquête sur les attitudes des Anglais en 2011, mais qui s’étend désormais aux enquêtes comparatives sur les attitudes identitaires et constitutionnelles dans les quatre territoires du Royaume-Uni. Ces projets analysent, tous deux, le comportement politique infra-étatique, au sein et à travers l’État.