Numéro spécial à paraître à l’automne 2024
Thème : Frontières
Éditrices invitées : Karine Côté-Boucher, Luna Vives, Adèle Garnier et Mireille Paquet
Au cours de la dernière décennie, les frontières ont attiré l’attention d’un nombre croissant de chercheurs issus de différentes disciplines, telles que la criminologie, l’anthropologie, les sciences politiques et la géographie, pour n’en citer que quelques-unes. La recherche contemporaine sur les frontières (résolument pluridisciplinaire et interdisciplinaire) a dépassé le concept de « frontière en tant que ligne » et montre, notamment, que les espaces frontaliers sont soumis à une délocalisation. Des moyens techniques de plus en plus sophistiqués ont été mis en place afin de mieux surveiller et effectuer le traçage des mobilités. Des retours réflexifs sur ces infrastructures de données à grande échelle ont d’ailleurs permis de souligner l’inadéquation entre discours sur ces technologies et les réalités de leur mise en œuvre. D’autres travaux se sont penchés sur la remise en question du monopole étatique sur la circulation légitime dans un contexte de multiplication des acteurs privés, publics et non gouvernementaux qui introduisent des rationalités multiples (e.g. humanitaire, sécuritaire, économique, administration publique, technologique) dans les espaces frontaliers, marquant la transition d’un modèle de gouvernement à un modèle de gouvernance des frontières. L’exercice du contrôle frontalier est de plus en plus défini par ces technologies, ces acteurs et ces rationalités qui ont des impacts bien précis sur la prise de décision frontalière, favorisant la vélocité des déplacements de certains mais entravant la mobilité des autres. Finalement, les recherches actuelles ont établi que les contrôles frontaliers n’enrayent pas les mobilités migrantes, mais y font obstacle en imposant des trajectoires de migration de plus en plus dangereuses et violentes. Les taux de mortalité migrante en font foi, mais également les violences multiples auxquelles les migrants et migrantes sont exposés tout au long de leur parcours, des violences sexuelles, psychologiques et épistémiques à la renaissance des marchés d’esclaves et à l’exploitation pécuniaire par les passeurs. En somme, ces travaux soutiennent l’idée, introduite par Stuart Elden il y a une décennie, que la frontière constitue une technologie de contrôle dont l’expression est hautement dynamique, multi-échelle et polysémique.
Nous avons donc assisté depuis les années 1990 à la mise en place d’un régime frontalier mondial à géométrie variable. Or, de nouvelles tendances émergent depuis quelques années qui retravaillent ce régime et qui mériteraient davantage notre attention. La pandémie de Covid-19 a remis à l’avant-scène le rôle biopolitique des frontières. Les mobilités aéroportuaires sont en chaos. Les pays de transit migratoire se voient de plus en plus déléguer la responsabilité des migrants qui passent, et doivent souvent maintenant s’installer, sur leur territoire. La question de l’accès à l’État providence et à ses bénéfices sociaux pour les migrants est posée de façon plus pressante, particulièrement en Europe. On assiste également à un retour de conceptions plus nationales des frontières présentées comme une panacée face à la montée des incertitudes. Les technologies de surveillance ne sont pas en reste, comme en témoignent les tests actuels de méthodes provenant de l’intelligence artificielle en matière de gestion des risques dans les espaces frontaliers.
Finalement, d’autres tendances plus établies demeurent moins étudiées. Un espace analytique reste ouvert quant à la question de la circulation des marchandises et des contrôles frontaliers qui s’y rapportent, particulièrement dans un contexte de frictions accrues dans les chaînes d’approvisionnement. Des efforts continuent d’être déployés dans la constitution d’espaces frontaliers qui permettent des circulations fluides pour les voyageurs privilégiés sous la forme de programmes de voyageurs dignes de confiance et qui instaurent de nouvelles modalités de surveillance pour ces voyageurs. Finalement, des sociétés font l’expérience d’autres façons de faire frontière, particulièrement grâce à des dispositifs de frontière ouverte. C’est le cas des espaces et protocoles de libre circulation tels que l’ECOWAS et l’Union Européenne qui redéfinissent la frontière.
Thématiques
Ce numéro entend montrer toute la diversité et la richesse de la recherche empirique actuelle portant sur les frontières à un public francophone. Nous invitons des contributions sur les thèmes suivants (une liste que ne se veut pas exhaustive) :
- Frontières et extraction de la force de travail migrante
- Pays de transit et délocalisation
- Approches historiques des frontières
- Acteurs privés, non gouvernementaux, activistes
- Changements climatiques et frontières
- Frontières ouvertes
- Chauvinisme de l’État providence (welfare chauvinism)
- Logiques et pratiques humanitaires
- Intelligence artificielle et nouvelles technologies en contrôle frontalier
- Impact des contrôles migratoires sur différentes catégories de migrants (femmes, mineurs non-accompagnés, communauté LGBTQI+, etc.)
- Impact des contrôles migratoires sur différentes catégories de travailleurs (transport routier, maritime, aérien)
- Douanes, logistique et chaînes d’approvisionnement aux frontières
- Mise en œuvre de politiques de facilitation des mobilités
- Pouvoirs discrétionnaires
- Militance et mouvements sociaux aux frontières : valorisation et criminalisation de l’aide aux migrants (ou délits de solidarité)
- Procédures légales d’éloignement : déportations, tiers-pays sûr, zones d’attente, etc.
Soumettre une contribution
Pour proposer une contribution à ce numéro thématique, veuillez transmettre les noms, affiliations et coordonnées des auteurs à coordonnatrice@criminologie.ca et assistante@criminologie.ca. Votre proposition doit également inclure un titre et un résumé en français de 250 à 500 mots. La date limite pour soumettre votre proposition est le 15 avril 2023. Les auteurs dont la proposition sera retenue auront ensuite jusqu’au 15 octobre 2023 pour soumettre la première version complete de leur manuscrit. Les manuscrits feront par la suite l’objet d’une évaluation par les pairs. Les révisions devront être soumises au plus tard le 15 avril 2024 en vue d’une publication dans la revue Criminologie à l’automne 2024.