Les frontières internationales sont des espaces où l’autorité étatique peut être exercée à sa capacité maximale. L’expression la plus évidente de cette autorité est dans le contrôle physique des migrant(e)s : où et comment ils peuvent se déplacer et vivre, leur sécurité corporelle, et bien sûr leur habileté de traverser une frontière ou non. Cependant, il existe aussi un contrôle de l’expérience migrante moins tangible : la collecte de données intimes et la surveillance de la vie privée des migrant(e)s, tâche qui est facilité par l’avènement de l’âge digital. Le 13 février 2020, les Midis de l’immigration en partenariat avec l’ÉRIQA explorait la confluence de ces deux sujets dans la conférence « Regards sur les frontières : entre contrôle et solidarité ».
Luna Vives, professeure adjointe de géographie à l’Université de Montréal et membre de l’ÉRIQA, a d’abord présenté les résultats préliminaires d’une recherche sur la gestion de la frontière méditerranéenne de l’Espagne.
Jorge Frozzini, professeur en communication à l’Université du Québec à Chicoutimi, s’est penché sur le contexte canadien en discutant des technologies de contrôle visant les travailleurs(euses) migrant(e)s temporaires.
La discussion entre Luna Vives et Jorge Frozzini a laissé comprendre que dans ce moment humanitaire sans précédent, la tendance globale des gouvernements n’est pas de promouvoir les droits des migrant(e)s ni d’assumer leurs obligations de sauvetage. Plutôt, nous pouvons percevoir un désengagement de la part des gouvernements, caractérisé par une plus grande fermeture des frontières et une expansion du régime de surveillance des migrant(e)s.
Dans ce compte-rendu synthétique, nous revenons en particulier sur les recherches de Luna Vives (grâce au compte-rendu original et intégral rédigé par Gabriel Jean-Maltais et Jeanne LaRoche, étudiants à la maîtrise en études urbaines (INRS-UCS) et membres de l’équipe des Midis de l’immigration de l’INRS).
Luna Vives: Obligations abandonnées en Méditerranée
Luna Vives a présenté aux participants de la conférence les conventions établies par l’Union européenne qui encadrent les opérations de recherche (‘search and rescue’) destinées aux importantes vagues de migants qui chercher à rejoindre l’Europe par la mer. La convention internationale SOLAS (Safety of Life at Sea ou sauvegarde de la vie humaine en mer) met ainsi en place une obligation au niveau de l’équipement d’embarcations pour qu’elles puissent effectuer des opérations de sauvetage. SAR, quant à elle, oblige les nations à mettre en place un système pour recevoir et traiter les appels de détresse, puis coordonner et exécuter les missions de sauvetages, ou du moins, faire appel à l’aide d’un autre pays s’il est impossible pour le pays en question de remplir ses missions. Toutefois, comme le note Luna Vives, si la lettre de la convention est normalement respectée, ce n’est pas nécessairement le cas de son esprit, comme nous le verrons plus loin.
Luna Vives a isolé trois transformations qui affaiblissent les protections pour les migrant(e)s en besoin urgent de sauvetage: le démantèlement, la supranationalisation et l’externalisation.
Luna Vives soutient que trois développements récents ont changé la nature des missions de sauvetage en Méditerranée occidentale. 1) Le premier est le démantèlement de Salvamento Marítimo par le gouvernement espagnol, passant entre autres par un sous-financement, des contrats de travail précaires et l’utilisation de sous-traitants pour un service qui, selon elle, avait répondu aux attentes jusqu’alors. 2) La deuxième transformation est la supranationalisation des services frontaliers européens, c’est-à-dire le passage d’une responsabilité nationale à une instance internationale (ici appelée Frontex). Depuis quelques années, cette organisation de l’Union européenne a vu ses responsabilités et ses budgets se multiplier et en a remplacé une partie significative des services de garde-côtes et garde-frontières nationaux. En plus des critiques de manque de transparence qu’elle reçoit, l’organisation a aussi été dénoncée pour l’utilisation de drones téléguidés comme méthode de première intervention face à un appel de détresse. 3) La troisième transformation touchant à la gestion des opérations de sauvetage en Méditerranée occidentale et analysée par la conférencière est l’externalisation des opérations SAR. Cette externalisation a trait au partenariat qui s’est formé entre les gouvernements espagnol et marocain et l’Union européenne en 2019, selon lequel des fonds seraient octroyés par le gouvernement espagnol et l’Union européenne afin que les garde-côtes marocains puissent intervenir plus souvent dans leur propre zone de responsabilité.
Une perspective plus globale
Luna Vives conclut que, malgré les différences de sujets et de lieux, les deux situations présentées (voir exposé de Jorge Frozzini) devraient être comprises ensemble, à l’intérieur d’une continuité de développements actuels. Dans les deux cas, la technologie est utilisée par l’état afin de contourner ses obligations envers les migrant(e)s et, comme société civile, il faudra porter une attention particulière à ces innovations étatiques qui augmentent les risques pour la santé ou la vie de ces populations migrantes vulnérables, qu’elles soient là temporairement, ou demandeuses d’asile.
Pour en découvrir plus sur le sujet, veuillez écouter l’entrevue avec Jorge Frozzini suivant son discours à la conférence!
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