Mireille Paquet, professeure agrégée au Département de sciences politiques à l’Université Concordia et membre de l’ÉRIQA et Robert Schertzer, professeur adjoint au Département de sciences politiques à l’Université de Toronto viennent de publier une nouvelle étude à l’IRPP : Irregular Border Crossings and Asylum Seekers in Canada: A Complex Intergovernmental Problem.
Résumé
De 2017 à la moitié de l’année 2020, la Gendarmerie royale du Canada a intercepté 59 658 personnes qui entraient au pays par d’autres voies que ses points d’entrée officiels. Cette croissance des passages irréguliers à la frontière marquait une rupture avec les tendances antérieures et la philosophie de contrôle centrale aux programmes de gestion des migrations au Canada. L’augmentation s’explique en partie par l’affaiblissement mondial de la protection des réfugiés, combiné à la réorientation des politiques d’immigration américaines depuis l’élection de Donald Trump. Mais elle découle aussi directement de l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs, qui interdit à quiconque se trouvant aux États-Unis de demander l’asile aux points d’entrée terrestres du Canada.
La plupart des migrants interceptés ont demandé le statut de réfugié, créant ce que Mireille Paquet et Robert Schertzer appellent un « problème intergouvernemental complexe » : un enjeu de politique publique difficile à résoudre et politiquement saillant qui traverse les secteurs et qui remet en cause les pratiques et le cadre même des relations intergouvernementales.
Cette étude examine comment le système intergouvernemental a pris en compte l’augmentation des passages irréguliers à la frontière observée depuis 2017. Ses auteurs soulignent qu’aucun des trois ordres de gouvernement ne dispose de pouvoirs suffisants pour traiter les causes de tels mouvements de population et que chacun s’est vu contraint d’en gérer lui-même les conséquences, notamment sur le plan financier. Ce problème intergouvernemental complexe défie la norme du multilatéralisme dans les relations intergouvernementales sur les questions migratoires et met en cause la gestion unilatérale du système de demandeurs d’asile par Ottawa.
Les auteurs formulent quatre recommandations : améliorer le financement fédéral pour aider les provinces à couvrir les coûts liés au soutien et à l’intégration des demandeurs d’asile ; préciser les responsabilités de chaque ordre de gouvernement et renforcer les normes dictant les relations intergouvernementales sur le sujet ; créer un forum intergouvernemental permanent de planification et de collaboration autour des questions d’asile dont les grandes villes seraient parties prenantes ; explorer de nouvelles façons d’inciter les demandeurs d’asile à s’établir dans différentes régions du pays.
Avant la pandémie, les relations intergouvernementales s’étaient relativement stabilisées sur l’enjeu des passages irréguliers à la frontière. Ceux-ci ont marqué une pause avec la crise sanitaire, mais tout indique qu’ils repartiront à la hausse une fois la pandémie enrayée. Les conséquences économiques, sociales et politiques de la crise pourraient alors altérer les perceptions à l’égard des migrants et élargir l’appui à la fermeture des frontières. On pourrait aussi observer une aggravation des causes sous-jacentes des migrations, notamment une insécurité économique et politique liée aux divergences d’approche des sociétés d’accueil.
Dans l’après-pandémie, le Canada pourrait subir des pressions accrues pour accepter un plus grand nombre de réfugiés. Les épisodes d’arrivées d’immigrants irréguliers pourraient aussi se faire plus fréquents. Les leçons de la période récente devraient servir à réformer notre système intergouvernemental en vue de résoudre le « problème intergouvernemental complexe » engendré. En s’inspirant des recommandations de cette étude, notre système de relations intergouvernementales serait mieux équipé pour gérer les prochaines arrivées au Canada de migrants irréguliers en quête d’asile au pays.
Pour visualiser l’article complet (en anglais), rendez-vous sur le site de l’IRPP.