Le 26 février 2021, Les Midis de l’Immigration ont organisé en partenariat avec l’ÉRIQA une classe de maître intitulée « Les enjeux de la recherche auprès des personnes demandeuses d’asile ». Cette séance, qui a eu lieu virtuellement, faisait suite au webinaire « Les demandeurs d’asile travaillant dans les secteurs essentiels pendant la pandémie » du 25 février 2021. Ce dernier présentait les résultats d’un sondage effectué entre mai et juin 2020 par la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) visant à mieux comprendre la réalité, les conditions de vie et de travail, ainsi que l’accès aux services des personnes demandeuses d’asile durant la pandémie.
L’objectif de cet atelier était de se retrouver entre chercheur.e.s et étudiant.e.s pour discuter de questionnements méthodologiques et éthiques pouvant survenir los de recherches auprès de personnes demandeuses d’asile. L’atelier s’est clôturé par un échange ayant permis aux membres de l’auditoire de poser des questions, de partager leurs commentaires ou leurs expériences avec les entretiens et les questions auxquelles ils ont été confrontés.
Professeure-chercheure au Département des relations industrielles de l’Université Laval, Aline Lechaume mène actuellement plusieurs projets de recherche sur les parcours d’insertion socio-professionnelle des personnes demandeuses d’asile ou réfugiées au Québec, dont un volet porte sur l’insertion en emploi des personnes demandeuses d’asile résidant dans la région de Québec. Ses intérêts portent, depuis près de vingt ans, sur les parcours d’intégration socio-professionnelle des personnes immigrantes ainsi que sur les politiques publiques et les programmes d’immigration, d’emploi et d’assistance sociale.
Dans ce compte-rendu synthétique, nous revenons sur les points saillants de la classe de maître.
Aline Lechaume, professeur-chercheure au Département des relations industrielles de l’Université Laval, offrait vendredi dernier une classe de maître virtuelle sur les enjeux de la recherche auprès des personnes demandeuses d’asile. Celle-ci y a parcouru avec précision et pertinence les grands questionnements méthodologiques et éthiques, ainsi que les défis relevant des projets de recherches impliquant cette population, qui seront exposés ci-dessous.
Conception d’un projet de recherche auprès de personnes demandeuses d’asile
Aline Lechaume expose tout d’abord qu’il est primordial de définir la population à l’étude, c’est-à-dire de répondre aux questions : « pour qui, avec qui et auprès de qui ». Cette recommandation souligne surtout l’importance d’aborder ces projets comme étant un travail auprès et avec des personnes demandeuses d’asile et non pas pour celles-ci. En effet, il est essentiel pour les chercheur.es de prendre le temps de se questionner sur leur positionnement et leur légitimité, ainsi que de définir concrètement leurs objectifs lors d’un travail auprès d’une telle population vulnérable.
Le défi des approches quantitatives
Pour Aline Lechaume, l’un des défis majeurs de la recherche quantitative auprès des personnes demandeuses d’asile demeure l’inaccessibilité aux données. Elle explique qu’il existe notamment un déficit de données important entre le moment où les personnes déposent leurs demandes d’asile et le traitement de celles-ci. La relative absence des demandeurs.euses dans les organismes sociaux contribue également à ces lacunes. Comme ce n’est pas dans le mandat des organismes en employabilité, par exemple, d’accompagner une telle population, lorsque les employé.es de ceux-ci le font tout de même, c’est de manière indirecte et l’information n’est donc pas comptabilisée. Sur le plan technique, il est également complexe de faire circuler des sondages auprès des personnes demandeuses, celles-ci n’ayant pas toujours accès à une connexion internet. Le portrait du parcours de celles-ci n’est donc en général pas clair et un besoin criant demeure quant à sa documentation.
Le défi des approches qualitatives
Pour ce qui est de la préparation du terrain de recherches qualitatives, selon Aline Lechaume, les comités éthiques sont très exigeants, et avec raison, sur la manière de solliciter des personnes demandeuses d’asile en entrevue, étant donné la situation de grande précarité de cette population. La traduction et compréhension des formulaires de consentement par les personnes visées sont aussi cruciales. Les chercheur.es doivent s’assurer hors de tout doute qu’il n’y a aucun moyen d’identifier celles-ci à la lecture du projet de recherche. Un bris de la confidentialité pourrait en effet se révéler préjudiciable au processus d’asile, notamment en soulevant potentiellement des contradictions dans l’histoire racontée aux autorités. Il faut aussi savoir qu’il est difficile de connaître le nombre de participants à l’avance et donc s’attendre à devoir s’ajuster en cours de route.
Pour ce qui est de l’accès au terrain, Aline Lechaume souligne qu’il est crucial de comprendre l’asymétrie de pouvoir entre le ou la chercheur.e et la personne questionnée. Établir un lien de confiance avec les organismes médiateurs et les personnes passées en entrevue apparaît ainsi indispensable. La professeure explique que les témoignages de ces dernières peuvent aussi s’avérer éprouvantes à énoncer et il arrive que les entrevues représentent pour celles-ci une première opportunité d’être entendue ou que l’entrevue en soi soit un moyen de solliciter de l’accompagnement. Les chercheur.es doivent ainsi être flexibles et à l’écoute, même si les rencontres abordent des éléments se situant au-delà des objectifs initiaux. Des cartes géographiques pour tracer le parcours migratoire et des fiches Ageven pour noter les évènements biographiques et leurs chronologies sont quelques outils intéressants pour faciliter la communication.
Du fait de cet aspect émotionnel, Aline Lechaume expose que des entrevues en personnes, plutôt que virtuelles, doivent être priorisées lorsque ce sera à nouveau possible et qu’il est également essentiel de prévoir des ressources pour soutenir les personnes interrogées à l’issue de celles-ci. La traduction en personne ne doit pareillement pas être prise à la légère. Un interprète de la même origine que la personne demandeuse peut par exemple provoquer un malaise ou des tensions si le regard sur la situation d’origine diffère. Finalement, lorsque disponible, il est important d’offrir une compensation financière aux personnes interrogées, préférablement anonymement et en argent liquide, pour éviter que le versement nuise à l’obtention d’aide sociale.
Aline Lechaume conclut sa présentation en soulignant trois mots à garder en tête lorsque l’on fait de la recherche auprès de personnes demandeuses d’asile : Confiance, Parcours et Bienveillance. Ces mots-clés rappellent que les entrevues ne sont que de brèves fenêtres sur des histoires, souvent émotives, s’inscrivant sur une longue période de temps. Les chercheur.es doivent rester à l’écoute, sans jugement et conscient.es de l’ensemble des enjeux mentionnés précédemment, s’ils et elles veulent éclaircir les parcours, pour l’instant trop documentés, des personnes demandeuses d’asile.
Compte-rendu réalisé par Noémie Benoit, étudiante à la maîtrise en science politique à l’Université Concordia.
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